mercredi 1 novembre 2017

Éduquer pour obéir ou obéir pour s'éduquer à la vertu

Cyprien Coste

Nombreux sont les rapprochements possibles entre Spinoza et Hobbes, et un certain nombre d'auteurs ont déjà commenté les différences et les similitudes entre ces auteurs sur les questions politiques. Nous voudrions avant tout nous focaliser sur l'approche théorique de l'apprentissage des normes à propos des deux systèmes politiques. Cette question soulève un sérieux problème d'ordre anthropologique. Comment l'homme apprend à vivre en société ? Que peut et doit faire un État pour réguler les comportements des hommes tout en tenant compte de la nature humaine ? Ces questions concernent en premier lieu l'éducation tout autant que la philosophie politique : en effet, la théorie politique s'accompagne toujours d'une vision descriptive des relations sociales en même temps qu'elle prescrit certaines remèdes afin de former une société apaisée. On peut constater que la philosophie hobbesienne a précisément cet objectif quand il s'agit de fonder une science politique avec une certitude proche des mathématiques. Certes, à la différence de Spinoza qui évoque la doctrina de puerorum educatione, Hobbes ne mentionne pas « la science de l'éducation » en tant que discipline, au même titre que l'arithmétique, la géométrie ou l'optique. Cependant, il nous semble que Hobbes propose de manière implicite des outils pédagogiques lorsqu'il évoque l'importance de l'écrit pour instaurer des relations pacifiées entre les hommes et pour créer un État ex nihilo. Mais surtout, ces outils s'accompagnent d'un présupposé : celui de la prévisibilité ou de la lisibilité des actions humaines. Dans telle ou telle situation, que ce soit à l'état civil ou à l'état de nature, la nature humaine devient cause d'un certain nombre d'actions (dont les effets peuvent s'avérer néfastes ou vertueux). Ce raisonnement à caractère scientifique préconise à son tour l'usage scientifique de certains outils ou dispositifs pour réguler ces effets.

Or, c'est précisément cette lisibilité ou cette prévisibilité de la nature humaine qui nous semble remise en question chez Spinoza, avec des conséquences importantes sur la manière d'envisager le rapport des institutions à l'apprentissage. Nous sommes amenés à réfléchir sur la pertinence pédagogique des outils et des dispositifs mis en place pour former un corps politique. En effet, un individu singulier peut réagir de manière inattendue à l'imposition d'une norme sociale à travers l'éducation, de la même façon qu'un peuple d'une certaine complexion a besoin d'outils singuliers que la nécessité des circonstances appelle (comme le récit, la fable ou les aphorismes). Ces outils doivent répondre à son besoin de composer un corps politique. Le philosophe néerlandais s'efforce de montrer par exemple l'intérêt pédagogique des Écritures saintes.

L'enjeu pédagogique est donc politique : il suppose une distinction entre ce que l'homme est capable par nature et ce que l'état civil va lui enseigner [...]


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