jeudi 1 avril 2021

Lettre ouverte au Président

Par Mehdi MARION. Animateur, fonctionnaire et déserteur de l’armée des « enfants soldats ».

"Monsieur le Président,

Je ne suis pas sûr que cette profession de foi vous parvienne mais à l’heure où les ministres tweetent les dernières informations avant de prévenir leurs propres équipes j’ai bon espoir que les réseaux sociaux s’organisent pour rendre cela possible.

Issus de l’éducation populaire je fais partie de la génération des animateurs socio-culturel qui ont construit tous leurs projets éducatifs et pédagogiques autour de la notion du bien être de l’enfant et de son développement. C’est à ce titre que je vous fais parvenir ce que vous êtes libre de considérer comme une simple note de service d’un fonctionnaire.

Le 16 mars 2020 vous avez parlé d’une guerre et de ses héros. Presque un an après en mon âme et conscience, je passe outre le fameux devoir de réserve auquel je suis soumis pour faire valoir mon droit de parent et de citoyen afin de défendre une des valeurs de la république : les enfants de sa patrie.

Monsieur le Président, vous avez parlé de guerre et de héros, je l’ai entendu, nous l’avons entendu. Pour cela mes confrères et consœurs de l’éducation populaire et de l’éducation nationale et moi-même avons appliqué dans nos structures, écoles, MJC, centres sociaux, associations et j’en passe différents protocoles sanitaires émanant de généraux dépassés et désorganisés. C’est souvent le cas dans une guerre en alors braves petits soldats soucieux de sauver la patrie, Nous, les animateurs et équipes municipales ou associatives qui intervenons auprès des enfants sur tous les temps péri et extrascolaires, sur les temps de restauration et sur les services minimum d’accueil quand ils sont nécessaires, nous nous sommes organisés, réorganisés, adaptés, réadaptés afin d’appliquer les ordres sans trop les discuter parce qu’après tout c’est la guerre.

Pour ma part et celle de tous mes collègues de France et de Navarre qui j’espère ne m’en voudront pas de parler en leur nom, l’Enfant, les enfants, nos enfants, mes enfants ont toujours été et seront toujours au cœur de ces aménagements.

Comment appliquer au mieux cette fameuse distanciation sociale, ces gestes barrières tout en préservant leur développement au fil de ces désormais trop nombreuses batailles ? Car voilà, Monsieur le Président, si des batteries de psychiatres alertent dans les médias sur le fait des dangers d’un énième confinement, ils ne sont pas assez nombreux, ou pas assez bruyants à pointer les dangers que représente la collectivité que nous leur obligeons à vivre depuis bientôt une année.

Vous avez parlé de la guerre et de ses héros ô combien nécessaires, mais au-delà des dommages collatéraux que je ne suis pas en mesure légitime de défendre (restauration, culture, hepad…) vous ne nous avez jamais annoncé qu’il faudrait aussi des enfants soldats pour combattre l’ennemi.

Est-ce à cela que vous aviez pensé pour la défense de notre mère patrie ? Car c’est bien cela qu’ils sont devenus aujourd’hui vous pouvez me croire Monsieur le Président : des enfants soldats.

Au front tous les jours. Le prix qu’ils payent se fait désormais sentir, il est visible et s’entend. Le malaise est installé. Des enfants soldats masqués dès leur 6 ans, de 7h30 à 18h30 pour certains et ce cinq jours par semaine et même pendant les vacances. Ils n’ont le droit de dévoiler leur sourire que pour se sustenter le midi ou à l’heure du gouter. Et encore, ils sont organisés en véritables garnisons. En élémentaire, depuis septembre 2020 ils sont parqués, oui parqués car les espaces nécessaires suggérés par les protocoles sont inexistants ou insuffisants et obligent les équipe professionnelles que nous sommes à délimiter des zones. Et je ne parle pas du jeu de la balle au prisonnier Monsieur le Président… Dans cette même zone qui leur est attribuée depuis septembre 2020 ils sont restreints à n’être qu’avec certains de leurs camarades, vous avez dû entendre parler de ce fameux ‘non brassage’ des classes ou des groupes. Leurs jeux sont limités et souvent répétitifs malgré toute la bonne volonté et l’imagination sans bornes des équipes.

Si nous sommes bien en guerre Monsieur le Président, alors j’ai le devoir de vous informer que c’est une guerre sale. Quelle nation sommes-nous pour sacrifier ainsi l’essence même de la vie et de l’innocence par peur de mourir ?

Une de mes filles est en sixième et n’a jamais vu le visage de ses nouveaux camarades venus d’autres écoles. Les élèves de CP n’ont jamais joués avec les plus grands dans la cour. Les petites sections de maternelle n’ont encore rien appris des interactions qu’offrent normalement la collectivité.

Puisque nous en sommes à nous dire les choses Monsieur le Président, les protocoles que je m’efforce d’appliquer en bon fonctionnaire, en plus de miner le moral et la motivation des équipes n’ont aucun sens. Comment pourraient-ils en avoir, rédigés par des technocrates qui n’ont pas vu une cour d’école, une cantine ou un centre de loisir depuis des dizaines d’années.

Des enfants soldats voici les victimes de cette guerre Monsieur le Président. Dociles et résignés comme aucun enfant, nul part dans ce monde ne devrait l’être, et certainement pas en France !

Le confinement alerte sur les violences domestiques que vivent certains enfants, c’est une triste réalité que vous avez le devoir de combattre. Et bien de mon point de vue, votre fonction exige aussi que vous preniez en considération la souffrance devenue quotidienne des enfants scolarisés dans notre pays. Il en est de votre responsabilité Monsieur le Président, la mienne est de vous en faire part.

Les travailleurs sociaux, les animateurs socio-culturels que nous sommes n’arrivons plus à faire rentrer des carrés dans des ronds, nous continuerons de nous y efforcer parce que c’est la guerre, et que la vie continue, mais nous refusons que nos enfants en payent le prix fort.

Les symptômes sont visibles, nos enfants sont malades, pas besoin de leur trifouiller le nez dans leurs établissements scolaires pour les tester. Nous sommes le test est le résultat est on ne peut plus négatif ! Nos enfants jouent moins, sourient moins, rient moins, s’isolent plus ! Ils apprennent moins, sont conscients d’être plus agités, violents et tristes pour certains. Les médias les abreuvent tous les jours de chiffres morbides, car oui voyez-vous, ils entendent tout, voient out, ressentent tout et malheureusement n’arrivent pas toujours à l’exprimer, alors ils souffrent. Ils souffrent à cause de moi, ils souffrent à cause de vous.

Voilà Monsieur le Président, j’ai fini ma bafouille. Puisse-t-elle vous parvenir. Je n’ai pas de conseil à vous donner mais je suis convaincu que museler et restreindre nos enfants n’est pas la bonne façon de faire. Les effets de ces choix ne participent en rien à l’effort de guerre et au contraire ne font qu’augmenter le nombre des victimes en diminuant nos forces armées de demain."


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