vendredi 8 avril 2016

Du pouvoir

Par Bertrand Russel

La pulsion de pouvoir se présente sous deux formes : explicite, chez les meneurs ; implicite, chez les suiveurs. Quand les hommes suivent un meneur, ils visent l’acquisition d’un pouvoir par le groupe qu’il commande, et croient que les triomphes qu’il remporte sont aussi les leurs.

« Le plus grand désavantage d’une éducation autoritaire, dit Adler, est de fournir à l’enfant un idéal de pouvoir, et de lui faire voir les plaisirs associés à l’exercice du pouvoir ». L’éducation produit aussi bien le type servile que le type despotique en donnant l’impression que la seule relation de coopération possible entre deux êtres humains est celle où l’un des deux donne des ordres et l’autre y obéit. La pulsion de soumission, tout aussi réelle et aussi répandue que la pulsion d’autorité, est enracinée dans la peur. La plupart des gens ont le sentiment que la politique est difficile et qu’il est préférable de suivre un leader : c’est, chez eux, un sentiment tout aussi instinctif et inconscient que ce qui motive le comportement d’un chien envers son maître. On retrouve les mécanismes de domination et soumission au niveau de la famille, de l’État et du monde des affaires…


Outre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, il existe un troisième type d’individus : ceux qui refusent de se soumettre et ceux qui ne possèdent pas ce caractère impérieux à vouloir commander. Ils ont du mal à se faire une place dans l’édifice social et, d’une façon ou d’une autre, se cherchent un refuge dans l’univers mental ou dans le monde réel (ermites). Le tempérament de l’ermite est ce qui permet de résister à l’attrait de la popularité, de poursuivre des travaux en faisant fi de l’hostilité ou de l’indifférence générale, et d’en arriver à des opinions qui vont à l’encontre des erreurs en vogue. D’autres qui ne sont pas indifférents au pouvoir deviennent des saints ou des hérésiarques, des fondateurs de nouvelles écoles… Ils s’attachent comme disciples des gens chez qui l’amour de la soumission se combine à une soif de révolte. 


extrait de Le Pouvoir, Syllepse
cité par : http://www.education-authentique.org/uploads/PDF_LEA/LEA_87.pdf