samedi 10 avril 2010

Communiqué contre les évaluations nationales


COMMUNIQUE DE L'APPEL DES DEUX CENTS MAÎTRES CONTRE LES EVALUATIONS NATIONALES


Les résultats des évaluations nationales de CM2 qui ont eu lieu en janvier dernier ont été rendus publics le mardi 30 mars 2010. De la communication qui en a été faite, ressortent plusieurs informations importantes qui donnent une fois encore raison à tous les signataires et soutiens de l'appel contre ces évaluations.

Ainsi a-t-on appris par le Café pédagogique du 2 avril 2010 que « le ministère reconnaît des défauts dans l'évalution CM2 ». Il lui en aura fallu du temps ! En effet, « les exercices proposés étaient beaucoup plus difficiles que l'an dernier » au point que « les services du ministère ont dû procéder à une correction statistique pour assurer une comparabilité des deux évaluations ». Bref, entre des classes qui bachotent et parfois bidouillent et des statisticiens qui bricolent, on se demande bien quel intérêt scientifique peuvent avoir de telles évaluations !

Par ailleurs, dans une interview accordée à l'AEF (31/03/2010), Jean-Michel Blanquer de la DGESCO nous en dit un peu plus. Pour cela, il s'appuie sur des remontées de résultats supérieures à l'an dernier (nous serions passés de 79 à 93 % de retour). Il n'est malheureusement pas fait état des conditions véritables pour obtenir ce chiffre : pressions, menaces, sanctions, versement de primes, et même un enseignant retiré une semaine de sa classe ! Rien n'est dit non plus sur les remontées partielles qui avaient provoqué quelques tripatouillages de chiffres l'an dernier, un syndicat d'inspecteurs (SNPI-FSU) ayant même affirmé (communiqué 12 mars 2009) que « certains inspecteurs académiques se sont laissé aller à des dérives en demandant aux inspecteurs de l’éducation nationale de trafiquer les résultats pour gonfler les taux de remontée.»

Pour le reste, J-M Blanquer juge les résultats stables (acquis solides passés de 75 à 73 % en français et de 65 à 67 % en mathématiques) tout en les trouvant moyens au point d'appeler à la vigilance. Il reconnaît « une difficulté beaucoup plus grande des exercices proposés cette année » ayant bien entraîné une « correction » mais assume le choix du durcissement des exercices pour « pouvoir mesurer l'excellence de certains élèves qui réussissent tous les tests ». Devant la suspicion à l'égard des ces changements et correctifs, il rappelle qu'il «s'agit d'une démarche scientifique ! ». On aimerait avoir le nom d'un seul scientifique acceptant de cautionner ce protocole. Rappelons au contraire que tous les universitaires engagés sur cette question étaient à nos côtés pour signer notre appel ! Comme solution pédagogique, il ne fallait pas s'attendre à une remise en cause des programmes de 2008. Au contraire, , J-M. Blanquer qui constate que « certains automatismes ne sont pas acquis en Cycle 2 » préconise encore « davantage d'exercices de mémoire ». Ça promet !

Restent d'autres points qui demanderont des précisions. Ainsi, devant le peu de moyens pédagogiques offerts en solution aux problèmes constatés, J-M. Blanquer avoue « nous sommes conscients des lacunes en la matière » et promet pour bientôt « de vrais outils susceptibles d'aider les enseignants »... « à appliquer au mieux les nouveaux programmes ». Tout est dans le « au mieux » car pour l'instant c'est surtout au pire !

Enfin, J-M. Blanquer reste sur une position plus constructive telle qu'il l'exprimait déjà en janvier dernier quand il affirmait qu'une « réflexion pourra s'engager à partir des critiques constructives » ou, à propos du calendrier, que « le ministère ne ferme pas la porte dès lors qu'il sera démontré qu'une autre formule est meilleure ». Voilà pourquoi il conclut en affirmant que « maintenant, nous cherchons la meilleure formule, et c'est une question d'arguments. Nous ne demandons qu'à être convaincus de la nécessité de changer la date de passation des évaluations ».

S'il s'agit vraiment d'une « question d'arguments », nous l'invitons à relire nos appels, interviews et communiqués où la place a largement été faite à d'autres propositions : évaluations adaptées à la rentrée, notation plus nuancée que 1 ou 0 et communication aux seuls parents. Avec nos divers soutiens, nous restons à la disposition de ce ministère qui « cherche la meilleure formule » pour en parler, gratuitement, sans même toucher de prime !


Sylvain Grandserre - porte-parole de l'appel des 200 maîtres
6 avril 2010

Piloter l'obéissance, un nouveau concept pour les inspecteurs ?


par Pierre Frackowiak


Une note officielle, « à l’usage exclusif des inspecteurs de l’Education Nationale » présente « les observables pour l’émission de l’avis de titularisation des professeurs ». Sa première partie, relative aux obligations du fonctionnaire, ne manque pas de surprendre au point de laisser penser que le document est un poisson d’avril. Nous vérifions donc son authenticité mais il est évident que les indications données paraissent crédibles tant elles sont conformes à l’air du temps gouvernemental, aux référentiels de compétences récemment publiés et aux injonctions répétées sur l’air « du fonctionnaire qui fonctionne » et des discours publics du ministre sur l’obligation d’obéissance des enseignants. Si les critères présentés concernent les conditions de titularisation des enseignants nouvellement recrutés, il est évident qu’ils s’appliquent à l’ensemble des enseignants.

1) Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable

Répondre aux grandes obligations du fonctionnaire :

- Devoir d’obéissance

. Ponctualité
. Respect des horaires
. Respect des contenus et des programmes
. Enseignement de toutes les disciplines
. Autres obligations de service (assiduité, service de surveillance, entrée, récréation…)

- Discrétion professionnelle

. Respect et confidentialité des informations détenues sur les familles et les élèves

. Réserve et absence de mise en cause des fonctionnements de l’institution et de ses personnels

- Comportements inadaptés

. Contacts physiques avec l’élève, ni coups ni caresses
. Manque de respect aux élèves, par les mots, les gestes, ou même l’humour
. Manquement à l’autorité, dérives ou défauts qui peuvent causer la mise en danger des élèves, bousculades, déplacements désordonnés, défaut de surveillance, manipulation d’objets dangereux…

Après les sanctions contre les désobéisseurs, après la multiplication des contrôles de l’exécution des ordres descendant des tuyaux d’orgue de la hiérarchie, parfois renforcés ou alourdis à chacun des niveaux intermédiaires (base élèves, aide individualisée selon un modèle officiel implicite, évaluationnite oppressante, SMA, exigences locales paperassières…), le ministère s’est donné une période d’observation des réactions avant de jeter ses dés. Le développement de l’autoritarisme analysé dans une tribune précédente se confirme, se formalise, s’impose. Et il faut bien dire que les réactions syndicales et politiques ont été bien molles pour le premier degré sur toutes les questions qualitatives, pédagogiques, morales, la lutte contre les suppressions de postes trustant toute l’énergie militante ou ce qu’il en reste, occultant le plus souvent les questions fondamentales de la conception du système éducatif, du choix de société à construire, d’une vision de « l’honnête homme » du 21ème siècle.

Désormais, il faut obéir. Il est interdit de contester, de critiquer, de proposer. La loyauté, c’est l’obéissance. On le voyait arriver depuis 2007 avec la perspective de la société ultra libérale autoritaire dont la mise en œuvre se poursuit inexorablement, on ne pouvait pas imaginer que ce serait à ce point. Société de l’individualisme exacerbé, de la compétition, de la loi du plus fort, des gagnants. Avec un retour en force de l’idée de la fatalité de l’échec malgré tous les efforts qui sont faits. L’exemple de l’aide individualisée, la bonne conscience du pouvoir, en est une illustration qui a pu piéger bien des acteurs éducatifs de bonne foi.

Le premier devoir des inspecteurs sera donc de contrôler le respect du devoir d’obéissance. Les plus zélés sont sans doute déjà au travail pour élaborer des grilles d’indicateurs d’obéissance afin de pouvoir en tirer des statistiques, des courbes et des camemberts. Ils les proposeront à l’échelon supérieur pour normaliser les pratiques. Le goût pour les usines à gaz inutiles est devenu une caractéristique des cadres technicistes depuis deux ou trois ans, leur effet essentiel est toujours d’alourdir les tâches administratives des enseignants et de les détourner de la réflexion pédagogique. On trouvera sans doute dans les grilles la déférence pour les échelons supérieurs, les traces de discours de propagande gouvernementale aux parents ou les témoignages de parents d’élèves incités à la délation par SOS Education, des coupures de presse mettant en évidence des prises de position citoyennes libres, les froncements de sourcils et les doutes manifestés en réunion pédagogique, les retards dans les renvois des évaluations, enquêtes et sondages, etc. Un autre volet comprendra les méthodes d’apprentissage de l’obéissance chez les élèves. Il s’agit de former des citoyens obéissants et il vaut mieux commencer à la maternelle. Les « garde à vous » et « à vos rangs fixe » pourront réapparaître. Peut-être pas les fusils en bois de Jules Ferry puisque l’Alsace et la Lorraine ont été reconquises, mais des modes de pensée conformistes et l’art de se courber devant l’autorité.

Ces mesures, parfaitement cohérentes avec les nouveaux vieux programmes et avec le déni systématique, idéologique, de la pédagogie, sont une nouvelle étape sur la voie du projet libéral. Au moindre incident, un coup de menton, un engagement solennel qui ne coûte rien, des instructions naturellement très fermes, des tableaux et des grilles pour hier, des feuilles de route pour demain...

Pour l’encadrement intermédiaire qui semble désormais majoritairement convaincu de la possibilité de piloter le système sans carburant et sans cap, une difficulté surgit néanmoins : comment piloter l’obéissance ? On peut la contrôler assez facilement avec un peu de pratique mais comment l’améliorer sans faire appel à la formation initiale et continue qui disparaît. Faute de cours d’obéissance, c’’est très simple : il faut aller chercher les modèles militaires. « Allez, allez, contravention » ou suppression des primes ! « Allez, allez, pas de discussion, exécution ou punition ! J’connais l’métier ! » La tacatatactique du gendarme, il n’y a que ça de vrai. On croise cette méthode avec celles du pilotage par les résultats chère au monde de l’entreprise et l’on a un système moderne en apparence qui accroit le nombre de victimes et les transforme en coupables, qui détériore le vivre ensemble comme l’a mis en évidence le rapport du médiateur, qui génère de la violence en prétendant la combattre. Les pilotes ne sont-ils pas nécessairement au moins des adjudants ou des lieutenants ? N’ont-ils pas toujours raison et ne connaissent-ils pas tout ça par cœur ?

Mais qui a inscrit la liberté pédagogique dans la loi ? Qui a dit que l’éducation est synonyme de liberté, d’intelligence, de pensée divergente ? Qui a évoqué l’éducation de l’esprit critique, l’éducation à la responsabilité plutôt qu’à la vassalité ? Qui ose encore parler d’une école émancipatrice dans une société démocratique ?

Quand sortira-t-on de la torpeur ?

J’adore ce vers du poète hongrois G. Balynt : « Je m’indigne donc je suis ». Peut-être verra-t-on des boucliers non fiscaux se lever pour revendiquer le droit à l’indignation. Peut-être serait-il prudent de revendiquer le droit de penser.