jeudi 29 janvier 2009

Telle est la question

Tel un miroir grossissant, l'enseignement nous renvoie l'état de délabrement de toute une société, à travers le comportement de plus en plus déstructuré des enfants.

Derrière l'agitation croissante d'une jeunesse incapable de se concentrer, vampirisée par l'absorption massive de tous les produits médiatiques en vogue, l'oeil rivé sur des images virtuelles du soir au matin, le cerveau constamment agressé par la musique du baladeur qui ne les quitte jamais, derrière le masque de l'arrogance, de l'insolence, voire de la violence, se profile un malaise grandissant, une souffrance authentique.

La jeunesse se cherche désespérément dans un cadre scolaire vidé de sens, qui ne lui apporte rien, rien de fondamental, ni la puissance du rêve qui élève, ni la certitude de trouver plus tard un travail.

Malgré l'acharnement héroïque des enseignants à recréer ce sens, presque en luttant à contre-courant, le bateau coule à pic.

Car soyons clairs, dans une société devenue uniquement mercantile, obsédée par le rendement économique et le pouvoir de l'argent, qu'est-ce que l'école peut encore transmettre qui soit reconnaissable par les enfants?

L'humain quitte l'école, les programmes se vident de toute substance émotionnelle. Tout devient forme mécanique, sans esprit et sans vie : on ne pense plus, on ne réfléchit plus. On coche des cases.

On est mûr pour s'engouffrer dans le dédale de l'informatique sans le fil d'Ariane de l'esprit critique et du discernement.

Bientôt les ponts seront définitivement coupés entre l'adulte et l'enfant si l'on ne se pose pas la question fondamentale, celle qui chapeaute toutes les autres, qui explique tous les remous sociaux actuels, le mécontentement généralisé.

QUEL EST LE SENS DE L'EXISTENCE, POURQUOI VIT-ON ?

Pour servir la cause d'un système ? La cause d'une idéologie ? La cause d'un intérêt partisan en lutte contre d'autres intérêts tout aussi partisans ? Ou plutôt pour s'accomplir en tant qu'être humain digne de ce nom ?

C'est une question qui mériterait d'être posée, car de la réponse découle tout un choix de civilisation et donc d'éducation.
Et là où l'on en est, il devient impératif de trouver des réponses, mais elles ne peuvent venir que de la bonne question.

Ainsi parle un petit prof.
Corinne

dimanche 11 janvier 2009

Il y a des lois non écrites au-dessus de toute législation de circonstance...

par Etienne Balibar dans : « Etat d’urgence démocratique »

« Sophocle faisait dire à Antigone : “Les défenses de l’Etat ne sauraient permettre de passer outre aux lois non écrites.” Nous savons, depuis la fondation même des démocraties, qu’un pouvoir est légitime dans la mesure où il n’entre pas en contradiction avec certaines lois supérieures de l’humanité [...] le respect des vivants et des morts, l’hospitalité, l’inviolabilité de l’être humain, l’imprescriptibilité de la vérité. Elles énoncent les valeurs qui permettent à une communauté politique de dire le droit et la justice, et qu’un gouvernement ou un Etat doivent donc sauvegarder à tout prix. « De telles lois non écrites sont au-dessus de toute législation de circonstance, et généralement de toute loi positive. C’est pourquoi, dès lors que les citoyens constatent une flagrante contradiction entre les deux, ils ont pour devoir de porter le conflit sur la place publique, en proclamant leur obéissance aux lois non écrites, serait-ce au détriment de l’obéissance aux lois positives. Du même coup, ils recréent les conditions d’une législation ou de la “volonté générale”. Ils n’attaquent pas le concept de la loi, ils le défendent. »

http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article3055

Qui prétend encore que c'est arrivé du frais matin ?


par Anne-Marie Garat

En 1933, depuis près de trois ans, le Reichstag avalise sans broncher ; les décisions se prennent sans débats ni votes. Von Hindenburg gouverne un coude sur l’épaule des SPD, tétanisés, un coude sur celle des nazis, bons bougres. Hitler n’a plus qu’à sauter sur l’estrade, grand clown des atrocités, impayable dans son frac tout neuf.
Qui prétend encore que c’est arrivé du frais matin ?
Le sommeil a bon dos, où naissent les songes, et les cauchemars. Mais on ne se réveille pas dans le pire, stupeur, au saut du lit : le pire s’est installé, insidieux, dans le paysage, banalisé par l’apathie ou l’incrédulité des uns, la bénédiction des autres.

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Discipline de la liberté

Par Maria Montessori

Voici un autre principe difficilement compris par les partisans de l’école ordinaire.Comment obtenir la discipline dans une classe d’enfants libres ?
Certainement, dans notre système, nous avons une conception différente de la discipline. Si la discipline est fondée sur la liberté, elle doit nécessairement être active .Il n’est pas dit qu’un individu soit discipliné, seulement lorsqu’il est devenu artificiellement silencieux comme un muet, et immobile comme un paralytique. Celui-là est un individu anéanti mais non discipliné.
Nous appelons discipliné un individu qui est maître de lui-même et qui peut par conséquent, disposer de lui là où il faut suivre une règle de vie.
Cette idée de discipline active n’est facile ni à comprendre ni à obtenir ; mais, certes, elle contient un haut principe d’éducation, bien différent de la coercition absolue et indiscutée de l’immobilité.
Une technique spéciale est nécessaire à l’institutrice pour conduire l’enfant dans cette voie de discipline, où il devra marcher pendant toute sa vie, en avançant indéfiniment vers la perfection. L’enfant, lorsqu’il apprend à faire des mouvements au lieu de rester dans l’immobilité, ne se prépare pas à l’école, mais à la vie, de sorte qu’il devient un individu correct par habitude et par pratique, même dans les manifestations sociales habituelles. Ainsi, l’enfant s’habitue à une discipline non limitée à l’ambiance de l’école, mais étendue à la société.
La liberté de l’enfant doit avoir comme limite l’intérêt collectif ; comme forme, ce que nous appelons l’éducation des manières et des actes. Nous devons donc proscrire à l’enfant tout ce qui peut nuire aux autres ou les offenser, tout ce qui a une signification d’impolitesse et d’acte sans dignité. Mais tout le reste, toute manifestation ayant un but utile, -quelle qu’elle soit et expliquée sous n’importe quelle forme, -doit être non seulement permise à l’enfant, mais observée par l’instituteur. Car c’est là l’essentiel. L’instituteur devrait non seulement acquérir la capacité, qui lui vient de la préparation scientifique, mais aussi les qualités d’observateur des phénomènes naturels. Dans notre système, il devra être un patient bien plus qu’un actif ; et sa patience sera formée d’une avide curiosité scientifique et d’un respect absolu pour le phénomène qu’il veut observer. Il faut que l’instituteur comprenne et sente sa position d’observateur : l’activité doit résider dans le phénomène.
Il convient d’appliquer ce principe dans l’école des petits, qui déploient les premières manifestations psychiques de leur vie. Nous ne pouvons pas connaître les conséquences d’un acte spontané étouffé lorsque l’enfant commence à agir : nous étouffons, peut-être la vie même. L’humanité qui se révèle dans ses splendeurs intellectuelles, dès l’âge tendre et charmant de l’enfance, comme le soleil paraît à l’aube, et comme la fleur se manifeste à la première apparition des pétales, devrait être respectée avec une vénération religieuse ; et si un acte éducatif doit être efficace, ce sera celui qui tend à aider au complet déploiement de la vie.
Pour arriver à ce but, il est nécessaire d’éviter rigoureusement l’arrêt de tout mouvement spontané et l’imposition d’actes par la volonté d’autrui ; à moins qu’il ne s’agisse d’actions inutiles et dangereuses, car celles-ci doivent justement être étouffées et détruites.

Réf : LA PEDAGOGIE SCIENTIFIQUE

jeudi 8 janvier 2009


« Il faut toujours remonter à la cause et même à la cause des causes. » (Hippocrate, -Ve siècle)

Apprendre, inévitablement


Par Jean-Pierre Lepri

« Ce que l’on a appris, nous est souvent venu comme par hasard.
Et ce que l’on a voulu consciemment apprendre
n’a que peu de rapport avec un programme d’enseignement [1] »


Lorsque les instructeurs bienveillants demandent à l’enfant Ernesto – enfant « difficile » qui ne veut pas aller à l’école – comment il saura alors lire, écrire et compter, Ernesto répond : i-né-vi-ta-ble-ment[2]
Apprendre c’est, à chaque instant, devant une situation inédite – et chaque seconde est bien unique –, avec la mémoire de son expérience antérieure, s’ajuster au mieux à cet instant, pour sa survie d’abord, pour son plaisir/confort ensuite. J’apprends donc à chaque seconde – tout comme je respire – ce qui est nécessaire à ma survie dans cette situation précise : parler la langue de ceux qui m’entourent, compter, lire ou écrire[3], saluer et utiliser les codes corporels, vestimentaires, kinesthésiques et autres, connaître d’autres régions du monde et d’autres temps…
Et pour cela, je n’ai nul besoin d’explications[4]. Il me faut surtout la nécessité et le besoin intimes de tel savoir, savoir-faire ou savoir-être… et non ce savoir, ce savoir faire ou ce savoir-être (en lui-même).
De là, l’inanité et la vanité de toute instruction ou éducation qui méconnaît le besoin personnel, intime, présent et actuel, de l’apprenant. De là aussi, le succès relatif des « pédagogies » qui cherchent à prendre en compte – partiellement au moins – ce besoin.
Il n’y a donc rien à enseigner. Au mieux peut-on ‘accompagner’ dans ses apprentissages celui/celle qui apprend – et non qui « veut » apprendre, ce n’est pas une question de volonté, ou, encore moins, qui « doit » apprendre, ce n’est pas davantage une question d’impératif.
Puisqu’apprendre est naturel – comme respirer ou digérer le sont –, le meilleur accompagnement de celui qui apprend est un accompagnement ‘naturel’ – et non une méthode ou une pédagogie naturelle.
Freinet y a insisté, s’inspirant précisément beaucoup de l’observation de la nature. Assez étrangement et paradoxalement, Fukuoka[5] également, pour l’agriculture – laquelle, même « bio » est de plus en plus éloignée de la nature.
Apprendre naturellement, c’est apprendre comme nous le faisons à chaque instant. Aider à apprendre naturellement, c’est aider naturellement (comme le ferait la nature) à apprendre.
Aider à apprendre naturellement
c’est aider naturellement à apprendre.

Lettre de l’EA janvier 2009

[1] Ivan Illich, « Une Société sans école », in Œuvres complètes. Volume 1, Fayard, p. 224.
« Apprendre, est-ce emmagasiner des croyances et des expériences nées et réalisées au-dehors de nous ? […] Tandis que lorsque nous apprenons à être uni à notre expérience, nous nous percevons non plus tel que nous croyons être, tel que nous souhaiterions être, mais tel que nous sommes réellement. Dès lors nous pouvons décider de notre vie : rester ce que nous sommes ou en changer ». Daniel-Philippe de Sudres, La Neuroconnectique, éd L’Originel, p. 139.
[2] Ah ! Ernesto, 1971, puis Pluie d’été, 1990, récits de Marguerite Duras : Ernesto, enfant d’une famille d’émigrés italiens, découvre L’Ecclésiaste sans jamais avoir appris à lire, et accède à la connaissance. Rapidement, il n’ira plus à l’école « parce qu’à l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas ». Film de Marguerite Duras Les Enfants, 1984. Straub et Huillet ont réalisé un film de 7 min, En Rachachant, adapté de Ah ! Ernesto.
[3] Cf. notre « Méthodes de lecture : la où le b.a=ba blesse ». Résumé (3 p.) sur http://www.meirieu.com/FORUM/lepribaba.pdf
[4] Cf. notamment Joseph Jacotot, présenté par Jacques Rancière, in Le Maître Ignorant, 10/18, réédition 2008. Extraits en « Connexion », ci-dessous.
[5] Masanobu Fukuoka, agriculteur japonais, 1914-2008, auteur notamment de La Révolution d’un seul brin de paille, L’Agriculture naturelle et La Voie du retour à la nature. Son site : http://fukuokafarmingol.info/index.html