mardi 12 mai 2009

Lettre d'un désobéisseur

Par une lettre datée du 11 mars 2009, j’ai fait savoir à monsieur l’inspecteur d’académie que je refusais d’obéir aux ordres de ma hiérarchie en ce qui concerne l’A.P.E. et ma participation aux travaux de rédaction du projet d’école. Les raisons de mon opposition à l’A.P.E. sont les mêmes que celles qui ont poussé beaucoup de collègues à désobéir et rejoignent les critiques formulées par les organisations syndicales. J’aimerais donc m’expliquer un peu sur les raisons pour lesquelles je refuse aujourd’hui de participer au projet d’école.

Je ne suis pas contre le fait qu’une équipe fasse des projets. Dans mon école, depuis trois ans, je dirige une chorale qui regroupe des élèves du CP au CM1. Ce projet a mûri lentement, il a évolué et il débouche généralement sur un petit concert en fin d’année scolaire. Oui cette chorale est pour moi un beau « projet d’école » à ceci près que nous n’avons jamais écrit une seule ligne la concernant, que nous n’avons pas défini les objectifs, que nous ne saurions pas dire avec exactitude quelles compétences sont travaillées et (crimes des crimes) que nous n’avons prévu aucune évaluation (en fait nous passons beaucoup trop de temps à chanter).

Un vrai projet à mon sens ne peut être que le fruit du désir d’une équipe. S’il est imposé d’en haut, alors les maîtres remplissent du papier, sans que ce qu’ils écrivent ait un quelconque rapport avec ce qui se passe réellement dans l’école. Il s’agit le plus souvent
d’aligner les dernières idées à la mode en essayant d’utiliser les
derniers termes à la mode…

On a beaucoup souligné la rupture que constituent les programmes de 2009. A mon sens on n’en a pas assez souligné les permanences. Ce qui perdure, c’est cette façon de découper le savoir en compétences qu’il suffirait de cocher les unes après les autres pour avoir à la fin de la scolarité primaire un élève « zéro défaut » ou, pour utiliser un autre terme à la mode : performant. Ce qui perdure, c’est cette vision techniciste de l’enseignement qui fixe des objectifs, exige du rendement, évalue, évalue toujours, évalue sans cesse. Jean Pierre Le Goff a bien montré que les pratiques du management moderne (et bien entendu son affreux vocabulaire : objectifs, compétences, performance, évaluation…) ont envahi l’école après avoir conquis l’entreprise.

Malheureusement ce sont des gens qui se prétendaient de gauche qui ont introduit ces pratiques au cœur même de l’institution scolaire. Ceci expliquant sans doute la totale absence d’opposition que ces pratiques ont suscitée. Ce découpage du savoir en tranches fines permet à l’administration de se donner l’illusion de la maîtrise et du contrôle. Notre travail depuis une dizaine d’années subit ainsi une inflation continue des tâches administratives (projet d’école, projets de cycle, PPRE, PPMS, évaluations nationales, B2I, et je passe sur les exigences propres aux différents inspecteurs de circonscription qui se succèdent sans jamais vraiment s’annuler). Ce contrôle bureaucratique, chaque année plus lourd, est du temps pris sur notre métier véritable (préparations, corrections, recherches, concertations…). Ces pratiques dénuées de sens détruisent peu à peu l’énergie nécessaire pour faire face à notre classe. Elles produisent au final l’effet exactement inverse à celui qui était prétendument escompté : des enseignants démoralisés, ne comprenant plus le sens de leur tâche quotidienne. Elles réduisent un métier basé sur l’obstination, la patience, la bienveillance à une suite de gestes techniques dépourvus de
signification. Dans la durée elles mettent à mal les vocations les plus solides, les espoirs les plus hauts, les idées les plus généreuses.

Voilà pourquoi j’ai décidé de ne plus me consacrer aux tâches dont je ne comprendrais l’intérêt ni pour moi, ni pour mes élèves, ni même, d’ailleurs, pour l’institution qui me les impose.

Olivier M