jeudi 19 novembre 2009

Enseignants obéissants

par Jean Le Gal

« les enseignants ont un devoir : obéir aux directives » Guaino, conseiller à l'Elysée

Les forces dominantes de l'Etat ont besoin d'instituteurs obéissants pour façonner les hommes et les femmes dont elles ont besoin pour servir leurs intérêts.

Un petit rappel historique pour ne pas oublier que la liberté est le fruit d'une lutte permanente et un hommage aux désobéisseurs d'aujourd'hui.

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1882

L’école laïque est l’arme du régime républicain contre ses adversaires mais elle est aussi perçue dans le prolétariat comme un moyen d’empêcher le développement des idées révolutionnaires, en inculquant aux enfants les valeurs de la classe bourgeoise dominante. Ainsi en juge L’Assiette au beurre, journal anarchiste, en 1909 : «L’Etat se doutait bien que le meilleur «four à citoyens dociles» serait encore l’école primaire[...]. L’instituteur, avant tout, doit donc être un plat valet du gouvernement. Peu importent ses idées propres, on le paye, il doit obéir. »(« Le maître d’école, caporal de la troisième République » in L’Assiette au beurre, décembre 1909.)

L’instruction civique et l’histoire de France doivent fortifier l’image de la République et inculquer la nationalisme, le patriotisme et l’idée de la revanche. Des «bataillons scolaires» organisés dans les écoles permettent une formation prémilitaire des enfants de 10 à 12 ans. Contre cette conception du rôle de l’école, les instituteurs progressistes et révolutionnaires ne pouvaient que s’insurger. A partir de 1889, l’Etat prend en charge le traitement des instituteurs qui se trouvent de ce fait beaucoup plus indépendants et à même de critiquer les pouvoirs en place ; cela ne manque pas d’inquiéter. Déjà, le 20 septembre 1887, Spuller, Ministre de l’Instruction publique et du culte, les avaient rappelés à l’obéissance : « L’autonomie du fonctionnaire a un autre nom, elle s’appelle l’anarchie [...].
Permettra-t-on aux instituteurs publics laïcs de se donner des chefs en dehors de leurs chefs naturels, des statuts en dehors de ceux de l’université, de prendre des engagements autres que ceux que l’état reconnaît ? »

Les instituteurs pouvaient, en s’organisant, représenter une force de résistance. Dès 1887, encouragés en cela par Jules ferry, ils avaient créé des amicales, mais elles étaient étroitement surveillées. Il faudra attendre 1903 pour voir naître, au congrès amicaliste de Marseille, une Fédération des amicales. A la suite de ce congrès se crée à Paris une association d’instituteurs adjoints qui prend un nom significatif : L’émancipation.
Elle réclame « pour tous les instituteurs et toutes les institutrices de France non directeurs et non directrices, l’autonomie complète de leur classe, de leur enseignement et leur pleine indépendance matérielle et morale. »

Dans le prolongement, se crée la Fédération nationale des instituteurs et institutrices de France. La rapprochement avec le mouvement ouvrier et l’idée de créer un syndicat inquiètent le pouvoir. La répression s’accroît, mais le syndicalisme révolutionnaire est né. En 1910, L’Ecole émancipée, revue de la Fédération de l’enseignement est fondée. Elle donne une place importante à une pédagogie remettant en cause les dogmes officiels et elle ouvre ses colonnes aux partisans de l’Education nouvelle. L’Ecole émancipée va jouer un rôle important dans la diffusion des idées révolutionnaires et des pratiques novatrices de Freinet ; il y publiera entre mai 1920 et juin 1921, une douzaine d’ articles.

Extrait de Jean Le Gal, « Célestin Freinet, la construction d’une pédagogie populaire et d’un mouvement d’éducateurs engagés, TELEMAQUE, Education et philosophie, 7-8, octobre 1996