mercredi 31 mars 2010

Comportements d'enfants


Dans mon premier témoignage « Paroles d’enfants », j’ai évoqué le bienfait immédiat que les enfants des classes élémentaires peuvent retirer de la pratique de petits moments de silence. Aujourd’hui, je voudrais témoigner de mon expérience en maternelle. L’approche y est plus concrète.

Par exemple, pour « attraper » le silence, à 3 ans, on affecte de le ramasser dans tous les coins de la classe avec ses mains, on le met dans une petite boîte (mimée avec un geste), on la ferme, on la tient près de son cœur et on garde le silence le plus longtemps possible… Il y a des variantes : « Moi, je mets les mains à plat comme ça (contre le cœur), on sait jamais s’il s’envole ! »

Ou alors, à 4 ou 5 ans, comme un grand, on commande à son corps : on dit à ses pieds et à ses jambes de ne pas bouger, à ses mains de rester bien à plat sur les genoux, à son ventre de respirer doucement, à sa bouche de rester fermée. C’est alors que le silence peut « parler » : « Mon cœur m’a dit : il faut faire doucement, il faut être sage à la maison, ne pas crier. »

Ou bien, épousant les rituels de l’école maternelle, on récitera la comptine préférée :

Je fais le tour de ma maison (geste autour du visage)
Je ferme les fenêtres (mains sur les yeux)
Je ferme les volets (mains sur les oreilles)
Je ferme la porte à clef (geste sur la bouche)
Je descends dans mon cœur…
Et j’écoute le silence…

Petit dialogue pris sur le vif :

-Moi, mon silence est parti.
-Il est là-haut, derrière les nuages !
-Moi, il est dans mon cœur.

On peut se poser des problèmes et les réponses, saisissantes, balaient parfois les questions : Qu’est-ce que je dois faire pour être sage ?

-Mon cœur, il m’a dit que j’étais sage sur le banc.
-Mon cœur, il n’a pas fait de réponse.

Partager son ressenti après l’exercice du silence est aussi un moment important de grand plaisir :

-J’ai bien senti mon cœur !
-J’ai senti un grand soleil comme ça, je l’ai attrapé et je l’ai mis dans mon cœur.
-Moi, j’ai attrapé plein de silence !
-Après, le silence, il va dans le cœur.
-J’ai senti un papillon.
-J’ai senti une fleur, un dauphin.
-J’ai senti le soleil, un diamant, la lune
-J’ai vu dans le cœur un diamant plein de couleurs.
-Mon cœur m’a dit qu’il m’aime.
-J’ai senti mon soleil s’agrandir.
-Moi, j’ai senti mon petit lapin car il saigne à la patte.
-Dans mon cœur, j’ai senti ma maman.
-J’ai senti mon frère et mon papa qui est au travail.
-J’ai senti mon Quentin (c’est mon petit frère)
-Dans mon cœur, j’ai senti mon petit frère qui est dans le ventre de ma maman.
-Même si je ne la sens pas, mon étoile est toujours là

Plus concrètement, la pratique régulière du silence a des répercussions dans la vie de la classe. Un enfant fait un caprice. Un autre commente : « Tom ne doit pas se sentir bien dans son petit cœur ! ». C’est ce sentiment-là, de malaise quand on a mal agi, qu’il est important de mettre en évidence. Cela favorise l’émergence de l’autonomie morale des enfants. Point n’est besoin de leur inculquer par la persuasion extérieure les principes moraux du moment ou de les formater selon les besoins du marché ! Il existe une sensibilité intérieure universelle chez tout le monde, non encore obstruée chez les jeunes enfants, que l’on a bien tord d’ignorer car sa prise en compte constituerait la base d’une société équilibrée faite d’individus en équilibre.

En témoigne le cas de Timy, 5 ans, enfant très agité, perturbateur, prenant souvent un malin plaisir à embêter par tous les moyens ses camarades. Un jour, à court d’arguments, je lui demande d’aller s’asseoir sur une chaise dans un coin et de se calmer. D’abord il bouge dans tous les sens et attrape les jeux à sa portée. Je lui demande de faire la leçon de silence, de commander à ses jambes, à ses pieds, à ses bras et à ses mains de rester tranquilles, de se maîtriser comme un grand. Il ferme les yeux et se plonge à l’intérieur de lui-même, prend visiblement goût à l’exercice et le prolonge pendant plusieurs minutes au milieu du bruit de la classe qui s’éparpille en jeux libres après le travail. De temps en temps, Timy ouvre les yeux puis les referme et recommence l’exercice. Au bout d’un moment, il vient me trouver et me dit : « Ça y est, je suis calmé ! ». Je l’engage alors à continuer son travail, il le termine consciencieusement, puis me propose de ranger tout l’atelier resté en désordre, il veut m’aider. Quand il a fini, il demande à retourner sur la petite chaise pour refaire l’exercice du calme. A trois reprises, il y retournera, puis me dira : « Je ne veux plus le faire, je suis calme. ». Il n’en avait plus besoin.

Chaque fois que l’agitation repointe son nez, nous procédons à l’identique. Après l’exercice, Timy n’est plus le même. D’insatisfait, perturbateur et fourbe, il devient sociable, gentil et sensible car axé en lui-même.

A une époque où l’on se perd dans la complexité des projets et des pédagogies susceptibles de répondre à la crise de l’éducation, la pratique du silence, si simple et tellement efficace, m’apparaît comme un moyen à ne pas négliger pour retrouver l’équilibre individuel et social. Nous aussi, adultes, nous devons retrouver notre axe pour transmettre aux enfants, plus que le savoir, CE QUE L’ON EST.

Diane