samedi 2 juillet 2016

Quand les neurosciences enterrent la méthode globale


Dans le Monde d'aujourd'hui (23.12.2013), le neuroscientifique Stanislas Dehaene, Grand Prix INSERM 2013, se fend d'un article magistral sur les errances de l'enseignement dans notre pays et les exigences à satisfaire dans l'avenir.


Par Sébastien Bohler

Encore beaucoup trop d'emploi de la méthode mixte

Au chapitre des erreurs du passé, perpétuées plus souvent qu'on ne croit aujourd'hui, l'apprentissage de la lecture à travers la méthode globale, qui encourage les enfants à reconnaître la forme des mots sans insister sur le principe alphabétique. S Dehaene écrit ainsi : « 77 pour cent des enseignants des zones défavorisées choisissent toujours un manuel de lecture inapproprié, qui fait appel à une méthode mixte », comprenez une méthode qui inclut une part de reconnaissance globale de la forme des mots. Un présupposé irrecevable de la part des neurosciences, pour qui le cerveau est adapté à la méthode syllabique, axée sur la compréhension de la correspondance entre les syllabes et les sons.





L'aire cérébrale indiquée d'une flèche à droite, spécialisée dans la reconnaissance des lettres, voit son activité augmenter au fur et à mesure de l'automatisation de la lecture.

Une formation aux neurosciences pour les enseignants ?

Sur la question des causes de cette erreur persistante, S. Dehaene dénonce le manque de « formation scientifique » des enseignants. Selon lui, les instituteurs et institutrices bricoleraient une pédagogie du mieux qu'ils peuvent, ne disposant pas des informations scientifiques qui leur permettraient remiser au placard une bonne fois pour toutes la méthode globale.
Toutefois, malgré la solidité de l'argument, on a du mal à croire qu'il aurait fallu attendre l'avènement des neurosciences pour apprendre aux enfants à lire à l'aide du B-A BA. Toute l'histoire des civilisations, depuis les alphabets grec et latin jusqu'à l'invention de l'imprimerie, n'est-elle pas construite sur ce principe ? Et on voudrait nous faire croire que son oubli est lié à un manque de neurosciences ? C'est un peu court.

Le problème est manifestement ailleurs. Mais où ?

En finir avec le mythe de l'apprentissage sans rien faire

La réponse semble montrer le bout de son nez un peu plus loin dans le propos de S. Dehaene. L'apprentissage du déchiffrage en lecture est, à vrai dire, un poil rébarbatif, et nécessite une répétition jusqu'à tant que le processus devienne automatique. Se pourrait-il alors qu'à une certaine époque, le fantasme d'une éducation « tout plaisir » ait vu le jour ? Où certains pédagogues aient rêvé que la formation des esprits puisse se faire sans transpiration, uniquement avec de l'inspiration ? Facilité séduisante que sportifs et stars du show-biz ont relayée jusqu'à l’écœurement selon l'adage : « il faut se faire plaisir ». Certes. Promettre à un enfant qu'il saura lire en identifiant comme par magie la forme des mots, ne manquera pas d'exercer sur lui (et sur ses parents) un certain attrait. Mais comme le disait Victor Hugo, l'art est fait à 99 pour cent de transpiration, et à un pour cent d'inspiration. Les neurosciences nous rappellent, finalement, que le bon câblage du cerveau demande du travail et du temps. Merci à S. Dehaene.

réf. http://www.scilogs.fr/l-actu-sur-le-divan/quand-les-neurosciences-enterrent-la-methode-globale/