lundi 28 septembre 2009

En conformité jusqu'à ne plus en pouvoir

Par Danièle Epstein
(Psychanalyste, anciennement psychologue à la PJJ de Paris)

Ce jour-là, la réunion hebdomadaire des directeurs se prépare. La directrice départementale de la PJJ de Paris n’y siègera pas. Son siège, elle l’a pris pour enjamber la fenêtre et se jeter dans le vide. Une réunion, semble-t-il, pourtant comme les autres, tristement banale avec son cortège de fermeture d’établissements, de dé-structuration, de dé-localisation, de personnels à re-déployer.

Educatrice de formation, chargée à ce poste de direction d’acter les directives de sa hiérarchie, la défenestration sur le lieu du travail, juste avant la réunion, semble venir à la place de ce qui n’a pu se dire ? Bien que personne ne puisse parler au nom de l’autre, on peut avancer cependant qu’un tel passage à l’acte vient signifier quelque chose de l’impasse dans laquelle, elle fut contrainte de se débattre, jusqu'à l'absurde.

Aux nouvelles méthodes de gestion publique qui visent la normalisation des pratiques, et au détournement de l’ordonnance de 45, qui oriente les nouvelles missions de la PJJ en transformant les éducateurs en contrôleurs, s’ajoute l’idéologie d’une pseudo-pédagogie qui vise à redresser le comportement, en faisant l’économie du travail d’élaboration psychique et de sa subjectivation. Si l’Ordonnance de 45 interrogeait la réalité des faits à la lumière de la réalité psychique, si les éducateurs se faisaient passeurs pour ces jeunes en impasse, les derniers remaniements de l’ordonnance de 45 détournent l’esprit de la loi, en la recentrant sur un objectif de «mise au pas», qui vient empêcher ces jeunes en errance de «prendre pied».

Contre un supposé laxisme, la fermeté s’est mutée en fermeture d’établissements éducatifs, et en enfermement : enfermement dans les murs, enfermement psychique. Sommés de mettre leur éthique et leur savoir-faire au placard pour répondre à la pression de la violence, par la violence de la seule ré-pression, les éducateurs sont poussés à devenir des exécutants musclés de consignes politiques relayées par leur administration. Comment alors permettre à ces adolescents de retrouver le désir de s’inscrire dans une réalité sociale vivante et vivable, une réalité qui donne envie de vivre ?

Là où la visée éducative est de permettre que ces adolescents, pris dans le tumulte de leurs pulsions, trouvent les repères subjectifs nécessaires à leur inscription dans la vie, le patient travail d’équipe est nié, annulé au profit d’une prise en charge contractualisée par un document établissant les objectifs et les moyens de les atteindre, dans le déni de la singularité et de la subjectivité, dans le déni de l’inventivité de chacun.

Quelle marge de manœuvre reste-t-il alors devant un mode de gestion centralisé de la délinquance, qui introduit ses techniques de normalisation, ses référentiels de mesures, avec fiches techniques, questionnaires directifs, procédures obligatoires, et «recommandations de bonnes pratiques professionnelles » ? Avec la volonté d’uniformiser les pratiques, la prise en charge programmée de ces jeunes devient stérile, parce que stérilisée.

La boucle se boucle enfin sur une "logique de la performance", avec la LOLF, qui indexe les budgets sur des objectifs quantitatifs, dont les critères sont définis par les Administrations Centrales.

Programmer, dresser, conditionner, normaliser, mesurer, quantifier, évaluer... destructurer, délocaliser, redéployer... autant de noms à cette entreprise destructrice de l'homme, d'un bout à l'autre de la chaîne, qui laisse chacun aux prises avec sa solitude, son angoisse et sa culpabilité.

Qu'une directrice de la PJJ n'ait eu d'autre recours que de s'éjecter par la fenêtre pour échapper à sa fonction, dans le silence de l'acte, en dit long sur l'impossible tâche à laquelle elle essaya de se soumettre.