jeudi 13 novembre 2008

Les bases spirituelles de l'éducation

Par Rudolf Steiner

On dirait volontiers : amener justement l'enfant à développer en lui-même et de la façon juste des impulsions morales, c'est là la question la plus importante et la plus grande de l'éducation. Mais nous ne lui communiquons pas d'impulsions morales si nous lui donnons des ordres : c'est cela que tu dois faire, ce doit être ainsi, c'est bien ainsi - et si nous voulons, en faisant appel à son intellect, lui démontrer que c'est bien ainsi. Ou bien en lui disant encore : ceci est mauvais, c'est mal, tu ne dois pas le faire - et en lui démontrant que c'est mal. L'attitude de l'être humain vis-à-vis du bien et du mal, de l'ordre moral universel, doit s'éveiller d'abord. Et cet éveil n'a lieu que lorsqu'avec la puberté le système rythmique a accompli sa tâche essentielle en vue de l'évolution de l'être et que l'intellect est alors mûr pour se déployer complètement. C'est alors seulement que les impulsions morales justes se manifestent dans l'être humain avec la force nécessaire, lorsque, ayant atteint la bonne maturité, il ressent la satisfaction intérieure de pouvoir se former un jugement moral devant l'existence elle-même. II ne s'agit pas de transmettre des jugements moraux, mais de cultiver les germes d'où naîtront les forces morales individuelles. On ne doit pas inoculer à l'enfant de jugement moral. On doit le préparer de telle façon que lorsque, à la puberté, la pleine faculté de jugement s'éveille, il puisse se former lui-même son propre jugement en observant la vie. C'est ce dont on reste le plus éloigné lorsqu'on transmet à l'enfant un commandement tout fait.
On y parvient, par contre, en agissant par l'exemple ou en lui montrant des exemples. Qu'on donne à l'enfant des images du bien en lui décrivant des êtres qui ont été bons ou le sont encore ou grâce à une imagination qui sache modeler des êtres bons. Ainsi le système rythmique participe en l'enfant à l’appréhension du bien. L'enfant ressent des sentiments fluant et refluant, dont les vibrations se prolongent subtilement dans le système rythmique. Et parce qu'à cette phase de la vie le système rythmique est en lui particulièrement actif, il développe le goût du bien et le dégoût du mal. Il n'est pas fait appel à l'intellect, mais à la sympathie envers le bien dont l'image se présente à son âme, et à l'antipathie envers le mal.
Son âme est alors préparée de telle façon que le jugement affectif peut plus tard, lorsqu'il grandit, mûrir pour devenir un jugement intellectuel. Ce qui importe, ce n’est pas d'inculquer le « tu dois», mais d'éveiller en l'enfant un jugement esthétique, si bien que le bien lui plaît, lui est sympathique et qu'il ressent vis-à-vis du mal du déplaisir, de l'antipathie, lorsque sa sensibilité perçoit les faits d'ordre moral.
II v a une grande différence entre ce comportement et l'action exercée sur l'intellect par des formules de commandement abstraites, qui parleront plus tard à l'enfant lorsqu'il aura dépassé l'âge où l'on est éduqué, lorsqu'il sera déjà un homme qui reçoit les leçons de la vie. En l'organisation humaine, quelque chose s'étiole lorsque l'être n'est pas préparé à ressentir au bon moment la satisfaction intérieure que lui procure l’éveil de sa force morale. Si l'on procède autrement que comme il vient d'être exposé, il ne s'éveillera pas à la réalité morale et ne pourra avoir à l'âge correspondant qu'un souvenir abstrait de ces commandements moraux valables pour d'autres. L'enfant y est correctement préparé pendant la période de sa vie que domine le rythme lorsqu'on l'amène à ressentir un plaisir esthétique devant le bien, un dégoût devant le mal, car c'est dans cette sensibilité que réside le germe à partir duquel se développeront les facultés intellectuelles. Un jugement intellectuel développé directement est comme une fleur qu'on a coupée de sa tige et de sa racine.
Lorsque, après la puberté, l'enfant s'éveille en ne disposant que des jugements moraux intellectuels tout faits dont il a un souvenir, il se sent intérieurement comme devenu esclave. I1 ne se le dit peut-être pas, mais il lui manque pour le reste de sa vie cette expérience si importante qui s exprime par un sentiment assourdi : la réalité morale a été éveillée en moi par la vie; j'ai développé moi-même en moi le jugement moral, il est mien.

Source : Extrait du livre "Les bases spirituelles de l'éducation", Editions TRIADES Poche
http://www.editions-triades.com/