vendredi 1 avril 2016

Discipline de la liberté

Par Maria Montessori

Voici un autre principe difficilement compris par les partisans de l’école ordinaire. Comment obtenir la discipline dans une classe d’enfants libres ?

Certainement, dans notre système, nous avons une conception différente de la discipline. Si la discipline est fondée sur la liberté, elle doit nécessairement être active. Il n’est pas dit qu’un individu soit discipliné, seulement lorsqu’il est devenu artificiellement silencieux comme un muet, et immobile comme un paralytique. Celui-là est un individu anéanti mais non discipliné.

Nous appelons discipliné un individu qui est maître de lui-même et qui peut, par conséquent, disposer de lui là où il faut suivre une règle de vie.

Cette idée de discipline active n’est facile ni à comprendre ni à obtenir ; mais, certes, elle contient un haut principe d’éducation, bien différent de la coercition absolue et indiscutée de l’immobilité.

Une technique spéciale est nécessaire à l’institutrice pour conduire l’enfant dans cette voie de discipline, où il devra marcher pendant toutes sa vie, en avançant indéfiniment vers la perfection. L’enfant, lorsqu’il apprend à faire des mouvements au lieu de rester dans l’immobilité, ne se prépare pas à l’école, mais à la vie, de sorte qu’il devient un individu correct par habitude et par pratique, même dans les manifestations sociales habituelles. Ainsi, l’enfant s’habitue à une discipline non limitée à l’ambiance de l’école, mais étendue à la société.

La liberté de l’enfant doit avoir comme limite l’intérêt collectif ; comme forme, ce que nous appelons l’éducation des manières et des actes. Nous devons donc proscrire à l’enfant tout ce qui peut nuire aux autres ou les offenser, tout ce qui a une signification d’impolitesse et d’acte sans dignité. Mais tout le reste, toute manifestation ayant un but utile, quelle qu’elle soit et expliquée sous n’importe quelle forme, doit être non seulement permise à l’enfant, mais observée par l’instituteur. Car c’est là l’essentiel. L’instituteur devrait non seulement acquérir la capacité, qui lui vient de la préparation scientifique, mais aussi les qualités d’observateur des phénomènes naturels. Dans notre système, il devra être un patient bien plus qu’un actif ; et sa patience sera formée d’une avide curiosité scientifique et d’un respect absolu pour le phénomène qu’il veut observer. Il faut que l’instituteur comprenne et sente sa position d’observateur : l’activité doit résider dans le phénomène.

Il convient d’appliquer ce principe dans l’école des petits, qui déploient les premières manifestations psychiques de leur vie. Nous ne pouvons pas connaître les conséquences d’un acte spontané étouffé lorsque l’enfant commence à agir : nous étouffons, peut-être, la vie même. L’humanité qui se révèle dans ses splendeurs intellectuelles, dès l’âge tendre et charmant de l’enfance, comme le soleil paraît à l’aube, et comme la fleur se manifeste à la première apparition des pétales, devrait être respectée avec une vénération religieuse ; et si un acte éducatif doit être efficace, ce sera celui qui tend à aider au complet déploiement de la vie.

Pour arriver à ce but, il est nécessaire d’éviter rigoureusement l’arrêt de tout mouvement spontané et l’imposition d’acte par la volonté d’autrui ; à moins qu’il ne s’agisse d’actions inutiles et dangereuses, car celles-ci doivent justement être étouffées et détruites.



Référence : Pédagogie scientifique - Editions Desclée de Brouwer