vendredi 15 mai 2020

Continuité pédagogique en période de confinement

Par Diane

Je souhaite témoigner d’un exemple d’action éducative mise en œuvre pendant la période de confinement. Je suis professeur des écoles en maternelle dans une école de village. J’ai une classe multi-âges de la petite à la grande section.

Après avoir choisi en équipe le mode de communication avec les parents et les élèves – nous avons créé des adresses courriel spécifiques – et transmis le lien du CNED (« ma classe à la maison ») recommandé par l’Éducation nationale, j’ai réfléchi à ce que je souhaitais transmettre aux familles qui soit adapté à la situation et qui ait du sens.

Tout d’abord, j’ai eu besoin de temps pour sortir moi-même du stress généré par la radicalité soudaine du changement imposé dans le quotidien à l’échelle planétaire, du temps pour m’adapter, pour laisser descendre, du temps pour ne pas passer à côté de cette formidable opportunité de prendre du recul, de réfléchir, de laisser émerger les prises de conscience et de voir venir les remises en question phénoménales qui nous attendent.

J’ai supposé que dans les familles la même alchimie intérieure s’opérait et que les enfants, plus que jamais, devaient absorber l’état psychique de leurs parents. J’ai donc commencé, à travers un message quotidien, à proposer des activités relaxantes, de recentrage et des messages rassurants de professionnels (psychologue et chronobiologiste).

En classe, je travaille depuis 2015 avec La leçon de Professeur Hibou*, une histoire qui favorise l’autonomie et la responsabilité, dès 3-4 ans, par l’éveil à l’Intelligence du cœur. En période d’adversité, ce sont des activités liées à cette histoire qui me sont apparues comme les plus porteuses de sens. Par exemple, jouer l’histoire en famille avec des marottes, se filmer pour s’améliorer. Une foule de compétences sont en jeu dans une mise en scène. Là où en classe, la même activité avec 30 élèves est plus complexe à mettre en place, en famille, c’est la complémentarité entre tous qui est sollicitée, le nombre réduit d’acteurs permettant une pleine participation de chacun.

Les échanges avec les parents qui ont témoigné des réactions des enfants m’ont permis de m’adapter aux besoins exprimés. Par exemple, les petits voulaient travailler sur un cahier pendant que les grands frères et sœurs faisaient leurs devoirs.

Tout a eu sa place dans un ensemble de propositions dont l’essentiel pour moi était une contribution à la préservation de l’équilibre individuel et familial. Petit à petit, le fil des apprentissages scolaires est revenu, à travers des jeux de manipulation avec du matériel disponible chez soi. On sait que le jeune enfant apprend beaucoup à travers l’expérimentation, très peu en travaillant sur fiche ou derrière l’ordinateur.

En numération, en langage oral ou écrit, les exercices de manipulation doivent être répétés tant que l’enfant y trouve un intérêt, c’est-à-dire tant qu’il apprend. En classe, avec une trentaine d’élèves et la cadence de travail imposée, tenir compte du rythme de l’enfant est quasiment impossible.

Donc, avec très peu d’activités proposées, ciblées sur les mécanismes naturels d’apprentissage, la majorité des enfants dont les parents étaient disponibles a pu progresser sans avoir à subir la saturation d’un nombre important d’exercices écrits prétendant couvrir l’ensemble du programme scolaire.

J’observe deux tendances dans la façon de gérer la continuité pédagogique parmi les collègues enseignants :

Celle qui consiste à envoyer aux familles les exercices couvrant les programmations habituelles en respectant en tout point les journées scolaires, et celle qui oriente les élèves vers un nombre impressionnant de logiciels éducatifs, de plateformes et ressources numériques, dont la classe virtuelle. Soit, en gros, le tout-imprimé ou le tout-écran.

Je me rends compte que ce qui s’est imposé à moi dans cette continuité pédagogique et éducative relève de l’adaptation à la situation présente, à l’activation de la créativité en réponse aux nécessités perçues, à la prise de conscience de l’essentiel dans ce métier de transmission qu’est l’enseignement.

Il ne s’agit ni de tenter de prolonger une instruction cérébrale à bout de souffle, ni de sauter à pieds joints dans l’espace numérique dont on n’a pas encore mesuré tous les pièges. Il ne s’agit pas non plus d’opérer un savant mélange entre le mode d’instruction du passé et celui qui tente de s’imposer à travers la technologie. Il s’agit d’être réaliste, de tenir compte du besoin d’évolution de l’humanité qui se trouve actuellement bien acculée dans l’impasse où l’ont conduite son manque flagrant de vision globale, de souffle intérieur, d’amour et d’humilité face à la Vie !

Oui, cette période peut être favorable à l’émergence de nouveaux paramètres qui règleront l’Éducation de demain pour former des êtres libres et responsables, capables de donner sens à leur existence.

*Initiative éducative innovante proposée pour les États généraux de l’Éducation.

lire la proposition ici


NB : À l’heure où je publie ce témoignage, deux mois sont passés dans le confinement avec ce suivi pédagogique à distance. Les batteries du vécu commun de la classe sont vides, le lien physique manque, la tentation du virtuel par vidéo possède beaucoup d’entre nous ; alors, c’est le partage d’être humain à être humain qui m’apparaît comme la première chose à retrouver pour redonner sens à l’éducation. Des personnes atomisées chacune derrière leur écran sont réduites à l’impuissance, donc manipulables à l’infini. C’est dans le miroir de l’autre, dans la relation authentique que l’on découvre notre identité commune, celle qui nous permet d’être et de vivre comme un seul homme tout en étant chacun différent.