mercredi 1 juillet 2020

Roland Goigoux : Evaluations : Faire mentir les chiffres, en pédagogie aussi

Manipulations, dissimulations et falsifications scientifiques. Roland Goigoux démonte la publication des résultats des évaluations de CP et CE1 en les attaquant dans leur conception même. Un travail explicatif qui laisse derrière lui les ruines d'une démarche politique et de communication du ministère. Alors que la loi Blanquer prévoit une réforme de l'évaluation de l’Éducation nationale en la mettant aux ordres du ministre, l'intérêt général impose de cesser de confondre communication et évaluation.


Par Le café pédagogique

« Les premiers résultats sont là »
Le 7 mai 2019, en conclusion du Grand débat, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, a écrit à tous les professeurs des écoles pour saluer le travail accompli sous sa houlette : « les premiers résultats sont là ». Pour étayer son affirmation, il s’appuie sur les résultats des évaluations CP et CE1 publiés quelques jours plus tôt (1) par la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, MEN). Dans le domaine de la lecture, un progrès spectaculaire est mis en valeur pour administrer la preuve de son succès : « si, en début de CP, 23 % des élèves n’identifiaient que la moitié des lettres et des sons qui leur étaient soumis, ils ne sont plus que 3,3 % au mois de janvier ».

Les chiffres sont exacts. La DEPP relève que, au mois de septembre 2018, 23 % des élèves ont échoué au test intitulé « Connaitre le nom des lettres et le son qu’elles produisent ». Dans cette épreuve, à dix reprises, les enfants devaient entourer, parmi une suite de cinq lettres imprimées (par exemple « p b d a q »), celle qui correspondait au son qu’ils entendaient au début d’un mot monosyllabique prononcé par le maitre (p. ex. « bulle »). Autrement dit, ils devaient être capables de discriminer un phonème en position initiale (« bulle » commence par le son /b/) puis de sélectionner la lettre correspondant au phonème qu’ils venaient d’isoler. Ceci impliquait de combiner une connaissance de la valeur sonore des lettres (« le B fait Beu ») et une habileté phonologique complexe, généralement hors de portée des enfants à qui on n’a pas encore appris à déchiffrer (2). Est-ce que, pour autant, cet échec signifie que les élèves sont « en difficulté » comme l’écrit la DEPP ?

Si l’on consulte le décret qui fixe les objectifs de l’école maternelle, on peut constater que les compétences ainsi évaluées ne sont pas au programme. Quoi de plus normal, par conséquent, qu’à la rentrée bon nombre d’élèves ne disposent pas de connaissances qui ne leur ont pas été enseignées ? Et quoi de plus normal, quatre mois plus tard, qu’ils sachent ce qu’on leur a appris ? En d’autres termes, en quoi le résultat de janvier peut-il être considéré comme la preuve que « l’École de France sait être réactive et déterminée pour se placer aux avant-postes des politiques sociales de notre pays », c’est-à-dire de la politique sociale du gouvernement ? [...]


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