mercredi 1 juillet 2020

Un lien, même pédagogique, ne fait pas l’Ecole

Par Eric Demougin

Dans l’excellente tribune « Continuité pédagogique ou rupture d’égalité ? » mise à signature sur le café pédagogique le 23 mars dernier, on trouve d’abord une analyse fine des impréparations informatiques, pédagogiques, éthiques et humaines de cette continuité pédagogique. Elle en dénonce très justement les effets inégalitaires, les violences.

Puis arrive ce titre : « Ce que devrait être une véritable continuité pédagogique ». Ainsi donc cette école à distance, dans les familles, pourrait prolonger celle présentielle ? Un peu plus loin l’appel est lancé « Nous appelons tou.tes les enseignant.es à retrouver du collectif, pour réfléchir ensemble à cette indispensable continuité du lien avec nos élèves et leurs familles, et subvertir de l’intérieur une institution inhumaine qui n’a que la productivité et le travail comme mot d’ordre ». L’appel évoque une « continuité du lien » et non plus « du pédagogique ». Cette contradiction interne de ce texte existe de façon plus large, en ce moment, dans le cosmos pédagogique.

Faut-il opter pour une subversion du mot, et donc accepter l’idée de continuité pédagogique en la redéfinissant de façon progressiste, sous un angle émancipateur et non utilitariste, ou au contraire réfuter le mot et l’idée, et travailler à d’autres pratiques, en lien avec un autre concept pour recouvrer cette réalité nouvelle ?
Le lien pédagogique avec l’enseignant peut-il se prolonger à la maison ? Ce lien, inévitablement différent, est-il encore pédagogique ?
L’école est l’outil, pour l’élève, d’émancipation de son milieu familial. Cela peut-il continuer depuis la maison ? Ce qui se transfère sur les parents, est-ce un rôle pédagogique ou un rôle d’une autre nature ?
Après tout, distinguer, trancher sur ces mots, est-ce important ou futile ?
L’urgence nous pousse à différer ces débats, et les élans dans le « faire » prennent l’ascendant.

Quand on consulte ces propositions recensées par le café pédagogique, ce qu’elles ont en commun c’est l’invention de clefs pour le terrain. Tout enseignant affronté au confinement, à l’éloignement de ses élèves, ne peut qu’y trouver une qualité réflexive, pratique. Une manière effectivement de combler l’impréparation et le silence du ministère dans la relation nouvelle à l’école qui se construit. Devant l’inefficience de la proposition ministérielle et les dangers de la distribution de devoirs, tout enseignant est poussé à inventer. On y perçoit une mise en partage d’une grande richesse, d’une grande diversité. Une vivacité des mouvements pédagogiques et des pensées qui les irriguent. Des énergies, des jubilations devant l’inconnu. Une envie d’expérimenter.

Mais ces propositions sont hétérogènes dans leur rapport à cette « continuité pédagogique ». Certaine possèdent en elle la contradiction et le flottement de la tribune, d’autres assument l’idée de continuité pédagogique, d’autres, plus rares, réfutent l’idée [...]


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