lundi 4 août 2008

L’éducation : par où commencer ?

Simon Magbenga
Lomé, janvier 2008

Je ne voudrais pas prétendre être un maître dans le domaine de l’éducation pour donner des leçons à qui que ce soit. Je suis seulement de ceux qui ont compris notre égarement collectif sur terre, ses causes profondes et de ce fait, se préoccupent de rechercher une nouvelle voie répondant mieux à la nature humaine, à son réel but, et non pas à nos égoïsmes destructeurs. Ma contribution ne saurait être qu’une approche, une proposition qu’il faudrait examiner à la lumière de ce qu’on en ressent, de son éventuelle cohérence, ou tout simplement à la lumière du bon sens. Je ne dis rien de nouveau ; bien d’autres avant moi l’ont su : on ne fait que se rappeler ce qui est en soi, ce qui ne peut être autrement. Je veux contribuer à l’effort collectif de ceux qui ont compris la nécessité de sécréter ensemble les bases d’une vraie société où l’homme se sentira enfin en paix, une société d’êtres humains responsables remplissant pleinement leur fonction à l’échelle de la vie universelle.

J’ai, dans un précédent article, montré (d’autres l’ont fait avant moi), que l’une des clefs essentielles de l’éveil de la conscience se trouve dans la contemplation de la beauté. Quelqu’un l’a déjà dit : « Seule la beauté sauvera le monde ».

L’écoute du silence, la contemplation, le sens de la beauté, l’esthétique… sont au cœur de l’éveil d’une conscience à la vie. La nature globale de la vie, un « tout vivant » visible et invisible, ne peut qu’échapper à toute approche mentale, laquelle reste limitée à la perception de ce qui est sensoriel et physique. Seule la contemplation qui implique toutes les dimensions de notre être, peut mener, du regard qui se perd parfois dans la multitude, à la conscience qui voit et perçoit la globalité de ce qui est présent…

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ceci devrait servir de « phare », de guide, à ceux qui élaborent les programmes de l’éducation.

A la question : à quoi doit servir l’éducation ? Certains répondront sans hésiter : à connaître le monde et l’univers physique pour l’exploiter en vue de réaliser le bonheur de l’homme. D’autres diront plutôt : l’éducation doit éveiller l’homme à ce qu’il est, afin qu’il puisse s’accomplir et s’épanouir, en remplissant sa fonction par rapport à la vie.

Voilà pourquoi certains visent le savoir, la connaissance du monde physique ; tandis que d’autres placent l’homme avant tout.

La première voie nous a conduits à des prouesses dont nous sommes très fiers ; mais l’humanité qui en ressort est profondément désunie, malheureuse, et en guerre contre elle-même. Je n’ai pas besoin de vous décrire cette triste réalité humaine à laquelle on assiste chaque jour. La souffrance, de plus en plus grande qui en découle, suffit pour en convaincre beaucoup d’aller à la recherche d’une autre voie.

Essayons donc la deuxième, celle qui place l’homme avant tout, celle qui demande d’éveiller l’homme à lui-même afin qu’il puisse être le maître, et non l'esclave de son existence.

Celle-ci, me semble-t-il, commande de commencer l’éducation de l’enfant par tout ce qui l’éveille à la présence de la vie, en lui et autour de lui.

A cet effet, trois phases de l’éveil me paraissent nécessaires :

L’éducation de l’enfant devrait débuter par une première étape : l’éveil à la vie en soi. Les techniques, les outils ou les méthodes qui me semblent propices pour y parvenir seraient : l’écoute du silence, le recueillement, la contemplation, la beauté, le jeu (collectif surtout) comme première forme de socialisation…Il peut y en avoir d’autres. Tout ceci devrait avoir pour fonction d’aiguiser d’abord et avant tout : la perception de l’enfant à l’âge le plus tendre où l’être est le plus sensible. Cette étape pourrait être accompagnée par les premières notions du savoir et de l’expression : lecture, écriture, langage, dessin, calcul (dans le sens mathématique du terme).

Une deuxième étape serait, conjointement à l’éveil, l’apprentissage : Il s’agirait ici de renforcer l’éveil de la conscience de soi tout en amenant l’enfant, progressivement, à la maîtrise élémentaire des outils de l’existence terrestre et à l’initiation au savoir. En dehors des programmes pour l’acquisition du savoir, il y aurait lieu de développer surtout l’écoute de soi et des autres, l’expression, le sens de l’unité et de l’universalité, le sens de l’équilibre et de la paix… Cette étape devrait ouvrir à la maîtrise de soi en apprenant à rester conscient, à composer avec nos énergies et avec celles dans lesquelles l’on se meut.

Enfin, la troisième étape consisterait à renforcer et accomplir ce qui s’est éveillé dans les deux premières. Il s’agirait alors de mener l’adolescent à l’âge adulte, à l’autonomie et à la responsabilité. Faire de lui, non pas un saint, non pas un ange, non pas un superman… mais seulement un homme accompli et libre, conscient de sa fonction universelle et de sa responsabilité au sein d’une société humaine. Cela va sans dire qu’à cette étape l’individu devrait aussi maîtriser le savoir et les outils de l’existence humaine.

Il va de soi que cette nouvelle éducation à l’éveil de la conscience implique un autre état d’esprit que celui qui prévaut dans l’éducation actuelle. Je livre les quelques axes suivants, non pas comme vérités, mais comme éléments de réflexion :

-L’école et le maître ne peuvent plus avoir les mêmes fonctions. Un cadre d’éveil doit se substituer aux structures qui n’ont eu, jusqu’ici, qu’à diffuser et faire absorber la connaissance scientifique. Leurs très faibles aptitudes à réveiller en l’élève (ou l’étudiant) ses capacités intuitives les condamnent à disparaître. C’est simple à comprendre : l’humanité se trouve de plus en plus face à des problèmes nouveaux qu’elle n’arrive pas à résoudre à travers le savoir acquis. Seule l’ouverture de l’homme aux dimensions encore inconnues de la vie peut apporter les solutions qu’on attend. Le connu ne vient que de l’inconnu, ou si l’on veut, le savoir est le résultat de « l’exploration » ou de l’ouverture à l’inconnu. Et ceci ne devrait pas être réservé à une soi-disant élite pour la simple raison que chaque être humain, par sa conscience, a une ouverture sur l’inconnu ou l’inconscient.
Quant au maître, il devrait intégrer plutôt la fonction ou le rôle de compagnon. Sans toutefois rejeter la nécessité de l’autorité comme source de verticalité, le côté dirigiste de l’enseignant devrait céder la place à l’accompagnement dans l’éveil de l’autre à lui-même.

-L’incapacité du système politique et économique à absorber et à rendre utiles ceux qu’il forme dans ses écoles et universités s’explique de deux manières : l’esprit d’élitisme et l’égoïsme qui le caractérisent, par lesquels il rejette lui-même la plus grande partie de ses propres produits ; enfin, les limites du savoir qu’il élabore et diffuse ne permettent guère aux détenteurs de trouver une réponse à leur besoin de s’employer et d’intégrer leur place dans la société.

Ceci nous amène à dire que l’éducation ne devrait pas s’arrêter à la simple délivrance de la connaissance scientifique ; elle devrait aussi et surtout développer chez l’individu des aptitudes à l’autonomie lui permettant de réfléchir et de trouver par lui-même des réponses aux problèmes qu’il doit résoudre. Loin du formatage forcé qui la caractérise aujourd'hui et bouche en l’individu la perception des possibilités infinies qu’offre la vie, le condamnant à la paralysie et à l'impuissance, l’éducation devrait forger des individus libres, capables de libérer leurs énergies pour s’épanouir au lieu de produire des êtres dépendants, esclaves du système qui les a enfantés. Comptez le nombre de chômeurs qui sont pourtant sortis des universités et des grandes écoles. Il est navrant de voir dans les pays les plus pauvres de jeunes diplômés déambulant dans les rues parce qu’ils ne trouvent pas à s’employer.

-Par ailleurs, la conscience devrait être éveillée pour remplir sa réelle fonction qui est celle d’éclairer le savoir et l’action humaine. Si l’on assiste, paradoxalement, à tant de progrès techniques et à tant de ravages de l’environnement, c’est que l’utilisation que l’homme fait de la science est contraire aux lois fondamentales qui gouvernent la vie terrestre. Actuellement, on se rend compte, peu à peu, que la croissance des richesses ne justifie pas les menaces qu’on accumule sur la vie terrestre. On ne peut pas chercher à satisfaire ses besoins matériels en détruisant les bases de sa propre existence. Cette prise de conscience, très lente et aux prises avec les résistances de l’incompréhension, devrait être parachevée et concrétisée par l’éveil à la valeur primordiale de la vie. Ceci devrait constituer le leitmotiv de la nouvelle éducation, afin que les générations futures dépassent nos agissements actuels, source de périls, pour inscrire toutes leurs actions dans la logique de l’équilibre universel de la vie.

Voilà donc quelques éléments de réflexion que je soumets à l’attention de tous ceux qui se préoccupent de l’éveil de la conscience humaine et de la nécessité de jeter les bases indispensables pour son accomplissement. Ne rejetons pas notre responsabilité sur le dos de l’avenir, car demain n’existe pas. C’est aujourd’hui même, dans l’instant présent, que le monde se construit ou se détruit. Le nouveau monde est ici et maintenant, grâce à la perception de tous ceux qui savent lire en eux-mêmes l’action à accomplir pour l'avènement d'une nouvelle terre.